XVII ème
Johannes VERMEER (1632-1675)
XIX ème
Jean-Auguste-Dominique INGRES (1780-1867)
Jan Brueghel l'Ancien, Flowers in a Wooden Vessel (détail), 1606-1607, huile sur bois, Collection : Musée de l'histoire de l'art de Vienne
Cornelis Norbertus Gijsbrechts, Quodlibet/Letter rack, 1675, peinture à l'huile, 41 x 34,5 cm, Collection: Wallraf-Richartz-Museum (Cologne)
XVI ème – XVII ème siècle
Comment ne pas penser en premier lieu aux natures mortes de l’Ecole flamande du XVIIème siècle avec ses fleurs et ses dessertes au rendu fin et précis, aux matières soigneusement restituées qui supposent non seulement une connaissance parfaite de l’objet, du fruit, de l’animal mais surtout une maîtrise picturale sans aucune lacune ? Jan Brueghel l’Ancien (1568-1625), Ambrosius Bosschaert (1573-1621), Pieter Claesz (1597-1661), Jan Davidsz de Heem (1606-1684) parmi tant d’autres ont réalisé des compositions savantes qui émerveillent par l’éclat des couleurs ou le scintillement des métaux et des verres. L’évidente recherche d’une absolue véracité semble alors s’accorder à la prise de conscience de la finitude du monde et de la vanité de toute action humaine. Nous pouvons considérer cette peinture de genre comme un premier pas vers ce que sera l’hyperréalisme.
De même, pensons au génie du trompe l’œil, cet art de l’illusion qui restitue à chaque objet peint une présence trompeuse sur nos rétines. Il y a du plaisir à rendre la nacre d’un coquillage, le duvet d’un feutre, la veine d’un bois, la somptuosité d’un bijou. Cornelis Norbertus Gijsbrechts (1630-1675) sut donner l’impression du relief quand bien même il ne s’agissait que d’une surface peinte. Nous percevons bien une relation avec l’hyperréalisme mais elle se réduit à la virtuosité technique car l’intention de l’artiste avec ses mises en scène astucieuses vise à nous interroger sur le simulacre de la réalité et notre propension à nous laisser berner, et non pas, comme le projet quasiment utopique de l’hyperréalisme le proposera, sur notre capacité à voir les choses réelles telles qu’elles sont.
William Bouguereau, The Little Knitter, 1882, Huile sur toile, 60,5 x 100,5 cm
John Frederick Kensett, Eaton's Neck, Long Island, (Détail), 1872, huile sur toile, 45.7 x 91.4 cm,
XIX ème siècle
Un autre moment fortement teinté d’un réalisme parfois démesuré apparaît au XIXème siècle, notamment en France, avec l’art académique. Ici l’attrait pour les grandes figures de l’Histoire incite les artistes à construire le spectacle de la grandeur passée avec des tableaux monumentaux. Le souci du détail laisse croire à une vérité que seul le peintre saurait révéler par un don d’observation qu’il aurait acquis après un long apprentissage. Cet Art « pompier », dans le culte de l’excellence et de la tradition, a laissé des œuvres au comble du réalisme : William Bouguereau (1825-1925) ou Fernand Cormon (1845-1924), assumant la supériorité du dessin sur la couleur, magnifient par leurs technique les sujets traités et s’emploient à dissimuler au maximum coups de pinceau et autres artifices, ce que ne manqueront pas de faire au siècle suivant les hyperréalistes.
Dans cette veine édificatrice pour le regard du spectateur, nous pouvons songer aux peintres de paysages alpins qui ne nous dispensent d’aucune fissure du rocher, d’aucun reflet du torrent, tous détails visibles dans des compositions démonstratives de très grand format : Laurent Guétal (1841-1892), Charles Bertier (1860-1924), Edouard Brun (1860-1935) nous aspirent dans l’immensité des vallées glaciaires pour nous convaincre de l’égale importance de ce qui est petit et de ce qui est grand.
Mais sans doute qu’une traversée de l’Atlantique sera nécessaire pour appréhender ce qui pourrait être considéré comme les prémices de l’hyperréalisme. Après la période dominée par les paysages grandioses et romantiques de l’Hudson River School, certains peintres américains, qui seront réunis ultérieurement sous le terme de « luministes » par John Baur, s’attachent aux effets atmosphériques d’un paysage, instaurant une relation intime et méditative entre l’espace précisément représenté et le spectateur happé par les valeurs lumineuses. Parmi ces artistes qui ont éclairci la palette et apporté de la netteté dans la facture, citons John Frederick Kensett (1816-1872), Albert Bierstadt (1835-1910) ou Alfred Thompson Bricher (1837-1908) qui ont créé des panoramas rigoureux avec des grandes zones abandonnées à la mer et au ciel qui ne s’affranchissent cependant pas du souci obsessionnel du détail.
Charles Scheeler, Upper deck, 1929. Fogg art museum, Cambridge, USA
XX ème siècle
Apparu au début des années 20, le précisionnisme est le premier mouvement « moderniste » du nouveau monde qui entreprend de peindre la ville, la machine, les infrastructures urbaines comme des ressources formelles dignes d’intérêt pour un artiste.
Les compositions empruntent à la fois au cubisme et au futurisme mais la touche lisse et froide leur confère une originalité proprement américaine. Une sorte de pureté se dégage de ces images nouvelles à la gloire de la production industrielle ou agricole.
Les grands aplats de couleurs franches et contrastées signent un projet décoratif efficace mais il faut leur reconnaître un apport considérable dans le fait qu’en ne cherchant pas à anoblir leur sujet (généralement banal : une cheminée d’usine, un silo à grains), ils en extraient toute l’étrangeté.
Citons principalement Charles Scheeler (1883-1965), mais également Charles Demuth (1883-1935), Preston Dickinson (1889-1930), Niles Spencer (1893-1952), Elsie Driggs (1898-1992), Ralston Crawford (1906-1978), Tous ont utilisé la documentation photographique, quand ils n’étaient pas photographes eux-mêmes.
Wayne Thiebaud, Pie Rows (Rangée de tartes), 1961. Huile sur toile. Collection: © Wayne Thiebaud Foundation/2022, ProLitteris, Zurich, Photo: © Matthew Kroening
Wayne Thiebaud (1920-2021), quant à lui, qui a peint des gâteaux, des sucreries, des pâtisseries de toutes sortes, mettant l’accent sur l’objet premier du désir de consommer pour répondre à un appétit immédiat, est à la fois un précurseur du pop-art et de l’hyperréalisme. Sa technique pâteuse accuse les contours pour mieux séduire.
Son réalisme reste néanmoins expressif et ses paysages urbains le rapprocheraient plutôt d’Edward Hopper.
Edward Hopper (1882-1967), qui connut la consécration aux Etats-Unis dans les années 30, est sans doute le plus célèbre ancêtre des hyperréalistes et le plus vénéré.
© En cours de modification
Ses tableaux représentent des scènes de rue, des magasins, des salles de spectacle, des stations-services, des restaurants, des habitats de banlieue avec parfois des personnages en attente, solitaires, isolés et esseulés, enfermés dans une solitude que vient dramatiser l’acidité des couleurs et la franchises des coupes verticales ou des plans obliques dignes de l’art cinématographique le plus abouti. Configurations d’ordre psychologique et d’ordre visuel s’accordent dans chaque composition pour dire crûment ce qui se joue dans l’existence, sous nos yeux : le désir et le rejet, le plaisir et la mort, le bonheur aigre que propose le monde moderne.
Les tableaux d’Edward Hopper anticipent l’intérêt que les photoréalistes montreront pour l’environnement urbain ou les accessoires de la modernité et la captation d’instants précis qui seront fixés sur la toile, mais s’en distinguent farouchement : l’aliénation malheureuse dénoncée par l’un ne pouvait pas laisser prévoir l’aliénation heureuse célébrée par les autres.
© Norman-Rockwell-probleme-concerne-1963-Huile-toile-914×1481-IllustrationLook-14-janvier-1964_1
Nous pourrions évoquer l’univers populaire de l’illustration avec des artistes comme Dean Cornwell (1892-1960), également peintre mural de renom, et surtout Norman Rockwell (1894-1978), qui a raconté les événements les plus cocasses de la vie de chaque américain avec un réalisme parfois caricatural.
Chaque oeuvre raconte une histoire avec drôlerie et tendresse : l’art comme entreprise de vérité, à la fois sociologique par son sujet et picturale par sa technique proprement photoréaliste.
Comme il existât un « pictorialisme » chez les photographes, qui reprenaient sur leurs clichés les cadrages et les conventions de la peinture traditionnelle de paysage, il existera un « photographisme » chez les peintres qui s’approprieront les codes et les particularités d’un art qui modifie considérablement les angles de vue, les perspectives, modifie notre champ de vision et diversifie ce qui peut tenir lieu de modèle à l’artiste.
L’originalité profonde du photoréalisme, plus que dans le niveau d’extrême précision du rendu, s’exprime surtout dans l'usage en peinture, avec ce que cela signifie de difficulté, des trouvailles singulières et des possibilités insoupçonnées de la prise de vue photographique.